Cette page a été rédigée par le Pr. T. Ferry (PHAGEinLYON Clinic)

Grands principes du traitement

Les bactériophages sont des virus spécifiques d’une bactérie. Ils existent naturellement dans la nature, et ont façonné le monde bactérien depuis des millénaires. Les bactériophages infectent spécifiquement un type de bactérie, et il existe deux cycles distincts. Au cours du cycle dit « lysogénique », le bactériophage intègre son ADN dans la bactérie, et persiste sous forme de « prophage » qui peut donner des avantages à la bactérie.

L’autre cycle est le cycle dit « lytique », qui aboutit à la multiplication du bactériophage dans la bactérie, et cette « compétition » entre la réplication bactérienne et la multiplication du bactériophage, peut aboutir en théorie à l’éradication de la bactérie, mais ce n’est pas systématique.

Vue dynamique en microscopie optique de la multiplication bactérienne en présence d’un bactériophage lytique (non visible) : La lyse bactérienne (en vert) se généralise et aboutit à la disparition complète de la population bactérienne (Pascal Maguin, Luciano Marraffini Lab, The Rockefeller University, USA)

Toutes les bactéries ne sont pas sensibles aux bactériophages, puisque les bactéries ont développé la capacité de devenir résistantes aux bactériophages. La phagothérapie, dénommée également thérapie phagique, consiste à produire des bactériophages spécifiques et à les utiliser pour une infection bactérienne. C’est Félix d’Hérelle, en étant à l’institut Pasteur, qui a le premier eu l’idée d’utiliser les bactériophages pour traiter les infections bactériennes chez l’homme et l’animal. Du fait de la découverte des antibiotiques et la généralisation de la production des béta-lactamines au cours de l’après-guerre, la phagothérapie a progressivement disparu en France juste avant les années 1980. Les Pr. Paul Sédallian et André Bertoye de la clinique des maladies infectieuses des Hospices Civils de Lyon, localisée à l’hôpital de la Croix-rousse, avaient développé en collaboration avec l’institut Pasteur de Lyon le concept de phagothérapie personnalisée, en isolant la bactérie responsable d’une infection complexe chez un patient, et en « entraînant » spécifiquement des bactériophages sur cette souche au laboratoire, avant d’injecter ces bactériophages sélectionnés et entraînés, au patient. L’histoire de la phagothérapie à Lyon est décrite dans cet article publié en 2022.

Photographie de l’équipe médicale de la clinique des maladies infectieuses dirigée par le Pr. A. Bertoye  dans les années 1970, dans le « batiment d’isolement » de l’hôpital de la Croix-Rousse construit au début du XXème siècle.

 

A ce jour, des bactériophages sont fabriqués en Géorgie. Ils ne sont pas disponibles en France car ils ne sont pas fabriqués selon les normes Européennes de bonnes pratiques de fabrication, et peuvent entraîner des réactions potentiellement sévères, du fait d’une purification insuffisante, s’ils sont utilisés par voie intraveineuse ou directement dans une articulation (il persiste potentiellement des débris bactériens). En France, une société privée fabrique des bactériophages dirigés contre le staphylocoque doré et des bactériophages dirigés contre Pseudomonas aeruginosa, une autre bactérie. Le CRIOAc Lyon a collaboré avec cette société pour développer et sélectionner les bactériophages paraissant les plus pertinents pour traiter les IOA. L’utilisation de phage thérapeutique en Europe occidentale doit suivre les recommandations de l’agence Européenne du médicament (European Medicines Agency), pour assurer la sécurité de la fabrication, et donc la tolérance du traitement.

A qui s’adresse le traitement, dans quelle(s) circonstance(s) ?

En théorie, il n’est pas possible de pouvoir bénéficier de ce type de traitement, car aucune étude n’a encore été réalisée en France, en dehors d’une étude réalisée chez le patient brulé. Dans le cadre de son mandat de Centre de Référence des Infections Ostéoarticulaires complexes, les HCL (CRIOAc Lyon) ont traité quelques patients avec une infection ostéoarticulaire par phagothérapie, et nous rapportons ces expériences sous la forme de « cas clinique » publiés dans des revues médicales internationales, ainsi que dans nos communications scientifiques. Il s’agissait d’infections essentiellement sur prothèse articulaire, majoritairement liées à des bactéries multirésistantes, dans des situations dramatiques, en sauvetage, en complément d’une nouvelle chirurgie et d’une antibiothérapie prolongée. Le traitement a pu être délivré à titre compassionnel et exceptionnel, sous supervision de L’Agence Nationale de Sécurité du Médicament et des produits de santé (ANSM).

Comment se déroule le traitement (du point de vue du patient) ?

La situation clinique doit être discutée en Réunion de Concertation Pluridisciplinaire (RCP) au CRIOAc Lyon (cela peut prendre du temps). Ensuite il est nécessaire d’obtenir en culture les bactéries responsables de l’infection et, en fonction de la situation clinique et de la résistance du germe, si un traitement de sauvetage par bactériophage est jugé nécessaire dans une situation d’une exceptionnelle gravité, l’accord de l’ANSM sera demandé pour la mise en oeuvre du traitement. Les différents bactériophages disponibles sont testés dans un premier temps sur milieu solide et liquide, pour sélectionner ceux qui sont actifs.

phagogramme

Phagogramme réalisé sur un milieu gélosé solide montrant des plages de lyses bactérienne (à gauche; Photo T. Ferry), et phagogramme dynamique en milieu liquide (à droite; crédit C. Kolenda ). La bactérie, sans bactériophage, se multiplie dans le milieu de culture (courbe bleue). La même bactérie est mise en culture avec des bactériophages, qui peuvent être inactifs (courbe rouge), ou être totalement actif (courbe verte, aucune croissance bactérienne n’est détectée). Un début de croissance bactérienne, secondairement inhibiée par le bactériophage peut être détectée (courbe turquoise), ou une pousse bactérienne secondaire peut apparaître (courbe violette).

 

Les bactériophages sélectionnés sont ensuite envoyés au Pharmacien Hospitalier dont c’est la responsabilité de faire une préparation magistrale extemporanée (le jour de l’opération) avec ce cocktail de bactériophage personnalisé, alors administré au moment de l’opération par un chirurgien sensibilisé à ce type de traitement.

Préparation sous un poste de sécurité microbiologique, dans des conditions stériles, d’un cocktail personnalisé de bactériophages sous forme de préparation magistrale par le pharmacien hospitalier (Photo T. Ferry).

Quels sont les contre-indications, les risques ?

Comme aucun essai thérapeutique n’a été réalisé à ce jour en France, les risques sont mal connus ainsi que les doses efficaces, c’est pourquoi ce type de traitement est proposé en sauvetage, en dernier recours, dans des situations jugées comme exceptionnelles en RCP.

Les suites du traitement

Le suivi de ce type de traitement est identique à toutes les autres infections ostéarticulaires, avec une attention particulière au risque de survenue d’évènement indésirable jusque là non connu (fièvre, frissons, immunisation, développement d’anticorps dirigés contre les bactériophages) et aux rechutes éventuelles.

Pourquoi il n’est pas possible de généraliser ce traitement ?

Pour que ce traitement puisse être généralisé, il est nécessaire de rechercher dans l’environnement plusieurs phages actifs contre chacune les bactéries impliquées (phage discovery) pour constituer ainsi des « banques de bactériophage ». Il est nécessaire ensuite de pouvoir financer des campagnes de production et de purification selon les normes Européennes de bonnes pratiques de fabrication, et enfin de réaliser des essais thérapeutiques dans le domaine des infections ostéoarticulaires, dans chacune des indications potentiellement pertinentes, pour démontrer scientifiquement qu’ils peuvent apporter un bénéfice.

Comment aller plus loin ?

Toute l’équipe du CRIOAc Lyon, avec le soutien institutionnel des HCL, de la Fondation HCL, de l’université Claude Bernard Lyon 1 et du CIRI, souhaite développer la phagothérapie. Cependant cela est bien sûr complexe, et nécessite un investissement de tous les acteurs concernés, notamment pour constituer une banque académique (c’est à dire à but non lucratif) de bactériophages couvrant les principales bactéries impliquées dans les IOA, et in fine proposer des essais thérapeutiques. Vous pouvez découvrir ce projet dénommé PHAGEinLYON, et devenir acteur en le soutenant en cliquant ICI.